Vers 2 heures du matin, hier, Hadiye Oz s’est réveillée et ne s’est plus rendormie. Brûlée par une peur indomptable. La même qui intoxique chacune de ses nuits depuis le 3 juillet que la décision d’expulsion est tombée. La même qui lui a rongé le ventre et creusé le visage à mesure que l’échéance approchait.
Vers 7 heures, Hadiye a confié ses enfants à des amis. Vers 8 heures, la police a frappé. Une trentaine d’agents. Hadiye a refusé d’ouvrir. À l’aide d’un bélier, les forces de l’ordre ont défoncé la porte et l’ont traînée, hurlante, jusque sur le palier, hors de cet appartement où elle vivait avec sa famille depuis plus de quatre ans. Une intervention qui aurait pu être l’épilogue - violent, selon les témoignages - d’une bagarre qui oppose la mairie de Drancy, en Seine-Saint-Denis, à la famille Oz. Mais peu avant midi, le préfet faisait une proposition de relogement à Bobigny. Pour les soutiens de la famille, nombreux, hier, à tenter de s’opposer à son expulsion, la nouvelle sonne comme un désaveu de la décision de Jean-Christophe Lagarde, député et maire de la ville (Nouveau Centre), injoignable hier après-midi.
Petit retour en arrière. En 2003, le pavillon où vit la famille Oz essuie un incendie, victime collatérale du sinistre qui a ravagé la menuiserie voisine. Hadiye et Idris, son mari, font une demande de relogement d’urgence. La mairie leur propose un quatre-pièces dans la cité Marcel-Cachin. Un bail de trois mois est signé, puis un second. Après quoi la mairie somme le couple et ses trois enfants de partir.
Faute d’autre solution, le couple engage des démarches pour être maintenu dans les lieux. Épaulé par le collectif des mal-logés, la CNL et les communistes de la ville, il se lance dans une bataille au long cours.
QUATRE ANS DE BATAILLE ACHARNÉE
« Nous nous sommes installés, nous avons refait les papiers peints, les travaux, tout », explique Hadiye, debout devant son appartement, dont l’entrée lui est désormais interdite. Elle continuera de payer les loyers jusqu’au bout, et l’OPHLM de les lui encaisser, tout en l’invitant à partir. Le rapport de forces durera ainsi quatre ans.
Mais, en juin, la mairie redouble de véhémence. Jusqu’à ce 3 juillet, donc, où le couperet tombe. L’intervention municipale ne s’arrête pas au commandement de partir. Alors qu’une pétition circule pour soutenir les Oz, Jean-Christophe Lagarde se fend d’une lettre à l’attention de (presque) tous les signataires du texte. Datée du 23 juillet, cette missive leur est adressée personnellement et à leur domicile. Le député et maire y affirme que la famille Oz a menti, que son pavillon n’a pas été détruit, pas plus que son mobilier. Rappelant qu’elle faisait l’objet d’une procédure d’expulsion pour loyer impayé avant même l’incendie de son pavillon, il conclut que « les communistes de Drancy soutiennent des gens qui pénètrent dans des appartements à partir de fausses déclarations ». Calomnie, assurent les concernés. « Les constats d’assurances témoignent des dégâts », explique Nathalie Vasseur, première secrétaire du Parti communiste de la ville. « Et si la famille Oz refusait de s’acquitter du loyer de son ancien logement, c’est parce que le propriétaire refusait de rembourser des travaux légalement à sa charge. »
Dix voitures pour une seule famille
Les pratiques du maire flirtent avec les limites de la démocratie, estime-t-elle. La lettre, bien sûr, mais aussi la brutalité de l’intervention policière - dix voitures, pour une seule famille -, qui a surpris militants, élus de l’opposition (PCF et LO) et voisins. Certains affirment avoir été traînés par terre. L’un deux a été menotté, puis embarqué, sans poursuite, toutefois.
« Le fait que le préfet ait proposé un relogement prouve bien que le dossier des Oz tient la route », estime par ailleurs Nathalie Vasseur. Ni voyous, ni voleurs, assure de la même façon le collectif des mal-logés : les Oz sont la cible d’un acharnement de la part de la mairie. Qui les a, quoi qu’il en soit, bannis de la ville où ils habitaient depuis plus de treize ans.
Marie-Noëlle Bertrand
Humanité 23 aout 2007